Le conservatoire des osiers de la vallée (1)

La culture de l’osier ne Loire-Inférieure

Avant de présenter les différentes variétés d’osiers traditionnelles recueillies dans le conservatoire, il est important de replacer cette culture spécialisée dans son contexte historique et d’expliquer le rôle prépondérant qu’ont joué les saules dans l’évolution de la « grande rivière » de Loire.

Lusse ardoisée, une grand osier provenant d’une variété de saule viminale


Au début du 20ème siècle, en 1904, le Nord et l’Est de la France étaient encore des régions importantes d’osiériculture, en particulier la Haute-Marne et les Ardennes. La vallée de la Loire était aussi un site privilégié, en particulier l’Indre-et-Loire, deuxième département français pour la surface cultivée, et la Loire-Inférieure, troisième, avec près de 500 ha., où la plupart des oseraies étaient cultivées en bordure du fleuve et dans les îles. Poussant dans des terres alluviales profondes et grasses enrichies par les limons des crues, les « lusses » de Loire étaient réputées pour leur qualité et leur « force », elles étaient principalement destinées à la fabrication de nasses et de grosses vanneries d’emballages.


Quatre-vingts pour cent des plantations du département étaient concentrées dans le « Val Nantais », juste en amont de la cité, dans la large plaine inondable s’étirant sur les communes de Basse-Goulaine (15 ha), St Julien-de-Concelles (295 ha) et La Chapelle-Basse-Mer (95 ha).
Une entreprise de commerce de gros de l’osier était établie en bordure de la levée de la Loire, à la Pierre-Percée, près du port du village, ce qui facilitait le transport des osiers par chaland. Autre atout pour l’import export : la proximité du chemin de fer et de la gare de Mauves, situés juste sur l’autre rive. Le marchand se fournissait auprès des producteurs de la vallée, jusqu’à Tours, 150 km plus en amont, pour satisfaire les besoins du marché local et des exportations. Quatrième grossiste de la génération, Xavier Douineau, en charge de l’entreprise BDF (Bernard Douineau France), se plaît à raconter l’épopée de l’arrière-grand-père Louis qui s’était rendu en Pologne vers 1910 « en train et à cheval » pour prospecter de l’osier fin, car on en manquait sur les bords de la Loire, attiré par l’osier polonais de bonne réputation. L’osier en question était en fait de l’Americana, une variété importée illégalement des Etats-Unis à la suite d’une histoire incroyable (à lire dans l’encadré).


La coupe de l’osier pouvait débuter à partir de la Saint Martin (11 novembre), jour de fête pendant laquelle était fixé chaque année le cours des végétaux à Angers. Mais avant de couper, on attendait surtout que les feuilles soient tombées ! Après négociation préalable avec les producteurs, les bottes achetées étaient récupérées par bateau dans les ports et dans les îles par les mariniers de service. Bernard Douineau se souvient du chaland « La Paix » qui remontait la Loire depuis La Pierre-Percée pour accomplir cette mission. Les osiers bruts étaient achetés à la botte qui devait mesurer en principe 1,02 m de circonférence ( par contre, après épluchage, les bottes d’osier blanc étaient vendues au poids).


Les marchandises étaient ensuite débarquées sur la cale de La Pierre-Percée, cela représentait des volumes importants, car un hectare d’osiers pouvait produire plus de 400 bottes. Pour la revente en brut, les bottes étaient laissées telles quelles. Les osiers destinés à être blanchis étaient surtout les sardas gris et noirs : ils étaient d’abord triés par longueurs (en pieds) puis mis à « sèvrer » dans une petite tranchée de terre légère en attendant la sève du printemps pour les rendre « dépouillables ». C’est très certainement pour cette raison que les anciens riverains du secteur appellent l’osier le « plon », contraction de pelon se rapportant à peler, peloir, pelure…

Avant l’utilisation des décortiqueuses, vers 1930, l’écorçage se faisait traditionnellement dans un « chantier » constitué d’un alignement de piquets enfichés chacun d’un « peloir », souvent une simple fourche de deux fers aciérés fabriquées par le forgeron. Il pouvait être produit 20 kg d’osier blanc en un journée pour un ouvrier. Il fallait donc de la main d’oeuvre dans l’entreprise comme dans les fermes avoisinantes, les femmes et les enfants étaient mobilisés. Avec les machines à décortiquer, on pouvait produire plus de 400 kg d’osier blanc par jour. Avec ses 7 à 8 employés, l’entreprise Douineau commercialisait alors environ 3500 tonnes d’osier brut par an et jusqu’à 600 tonnes d’osier blanc. A la gare de Mauves, se souvient Bernard Douineau, on chargeait souvent un wagon d’osier par jour.


Comme le chanvre alors florissant, la production d’osier demandait un grand nombre de bras comme s’en souvient un riverain d’un village voisin : Pendant la période où l’on coupait l’osier, il y avait une nuée de journaliers qui allaient et venaient, comme à l’Île Dorelle en face de chez nous, il y avait bien jusqu’à 15 gars à travailler… L’osier, à cette époque-là, servait à tout ce qui était ustensile, les paniers à saumons, les nasses à lamproies, les bosselles (à anguilles), le berceau du gamin… Y avait tout un petit monde de vanniers qui travaillaient exclusivement pour le fleuve, exclusivement pour ça, et qui utilisaient des quantités phénoménales d’osier vert, sauf celui qui allait à la vannerie en ville et qui était de l’osier dépouillé…


En saison, un marché d’osiers se tenait tous les samedis à Nantes, alimenté par les producteurs locaux et les grossistes faisant venir la marchandise par train ou chaland. La ville comptait de nombreux ateliers de vannerie travaillant pour toutes sortes d’industries, il était exporté un grand nombre de paniers d’emballages. La pêche était un débouché important pour les vanniers de ce département fluvial et maritime qui utilisait quantités de nasses, de paniers à poissons et à coquillages (huîtres), de mannes pour le chalutier et de transport… Avant l’apparition des nouvelles matières d’emballages (bois déroulé, carton, plastiques), le nombre d’objets utilitaires fabriqués en osier était impressionnant par sa diversité et son omniprésence dans la vie quotidienne, comme le montre un aperçu de la liste donnée par l’ingénieur agricole Félicien Lesourd en 1927 dans son livre pratique «  La culture de l’osier » : corbeilles, paniers, emballages, hottes, cache-pots, éventaires, bannetons, valises, mannes, mannequins, malles, cantines, vannettes, vans à crottin, picotins, cages à oiseaux, chaises, fauteuils, lits et berceaux, pèse-bébés, cageots à volailles et à porcs, clayons pour fruits secs, nattes, nasses, nacelles à ballon etc… Il y avait aussi le marché des ligatures pour la vigne, les arbres fruitiers, les cercles de barriques…
Après les années 1950, l’emploi des osiers chuta brutalement : les petits osiers continuèrent encore à se vendre pour la vannerie fine et fantaisie, mais les grands osiers restèrent dans les greniers, car ils étaient utilisés principalement pour les emballages et les nasses, ce qui découragea définitivement les osiéristes, n’ayant plus de débouchés. Dans le même temps, le marché fut envahi d’objets tressés d’importation asiatique bon marché, ce découragea aussi bon nombre de vanniers ne pouvant supporter l’effondrement des prix. Curieusement, les dernières mannes vendues par l’entreprise Douineau furent des paniers mannequins à cognac d’une contenance de 50 bouteilles, pour des exportations en Afrique et en Asie. Peut-être parce que cet emballage léger se transportait bien à dos de dromadaire ou de… chameau !

Les osiers dans la vallée hier, aujourd’hui et… demain

En 1904, la petite commune d’Anetz, d’une superficie de 1450 ha, dont la moitié inondable lors des grandes crues, comptait 5 ha d’oseraies. Bon nombre de riverains et usagers exploitaient de petits carrés d’osiers d’un ou deux ares pour leurs besoins personnels, en particulier les « pêcheurs aux engins » : il faut en effet plus de 200 brins d’osier pour fabriquer une bosselle à anguilles.
Au beau milieu de la vallée, s’étendait sur plusieurs hectares l’oseraie des Quinze Quartiers, exploitée par le père Bely, vannier à St Julien- de-Concelles, plus de 25 km en aval. On voit encore les ruines de son pied-à-terre de travail, une maisonnette en pierre au milieu d’un pâturage. Certains pêcheurs d’Anetz faisaient le chemin inverse pour acheter leurs nasses à anguilles à Saint Julien, car ses vanniers étaient renommés pour cette fabrication.
Aujourd’hui, les bosselles sont faites grillage plastique, il n’y a plus d’oseraie, grande ou petite, à Anetz, hormis celle du conservatoire des osiers plantée en 2006 par Anetz-Environnement pour garder la mémoire des variétés traditionnelles… De même à Saint Julien-de-Concelles et à La Chapelle-Basse-Mer, hauts lieux de l’osier, toute la vallée endiguée est envahie par les cultures maraîchères. Quelle différence avec le paysage de l’enfance de Bernard Douineau : Etant gamin, j’allais à pied à l’école de Saint Julien en traversant la vallée, on ne voyait que des champs d’osiers et des champs d’asperges. En 1957, face à la crise de l’osier, il a dû se reconvertir en « importateur grossiste en fibre végétale ». A sa suite, son fils Xavier vend désormais du rotin, du bambou, du jonc de mer, et quand même toujours un peu d’osier, mais de l’osier importé d’Espagne, de Cuenca, l’ancien grand centre osiéricole du pays qui peine à survivre… Et dire que la famille Douineau cultivait autrefois 8 hectares d’osier dans l’Île Arrouix, juste en face de La Pierre-Percée !
Avec la transition écologique qui prône le remplacement des plastiques par des matériaux « durables », l’osier doit retrouver la place qui lui revient pour des qualités reconnues depuis des temps immémoriaux. Dans l’air du temps, de nouveaux vanniers se lancent avec motivation dans le métier après avoir suivi le plus souvent une formation à l’école nationale de vannerie, créée en 1905 pour relancer la vannerie française. L’osier vivant ou brut est de plus en plus utilisé dans les jardins et en génie végétal. Il faut donc que renaissent les oseraies dans les vallées.
Notre conservatoire s’inscrit à la fois dans cet esprit « renouvelable » et dans la préservation du patrimoine visant à sauvegarder les variétés d’osiers ayant été cultivées depuis le 19e siècle. En questionnant les anciens, en consultant les archives, en comparant les caractères botaniques, nous avons réussi à retrouver la « lusse jaune » et la « lusse ardoisée », le « vitellin », le « sarda gris » et le « sarda noir », la « ficelle »… Dans le prochain numéro du Lien Créatif, nous présenterons les différentes espèces de saules indigènes en rapport avec les osiers que nous conservons. Il est en effet intéressant d’essayer de retrouver les caractères botaniques distinctifs des espèces types pour mieux connaître nos osiers. Mais l’exercice est difficile, l’identification des saules s’apparente souvent à un véritable jeu de piste, car les espèces s’hybrident naturellement entre elles et entre hybrides « fertiles »… On ne trouve pas toujours la solution de l’énigme, n’est-ce pas mon cher Watson !

Pour finir, une histoire « extraordinaire »

L’importation illégale de l’osier Americana en Europe
ou l’astuce du vannier polonais Ernst Hoedt

En 1885, pendant un séjour en Amérique, un maître vannier polonais nommé Ernst Hoëdt voulut ramener des boutures d’un osier qui lui plaisait trouvé dans l’Est des Etats-Unis, mais les autorités américaines s’y opposèrent ! Il eut alors l’astuce de tresser des paniers avec des brins « frais » qu’il fit passer comme des lettres à la poste ! Pendant la longue traversée, il prit soin d’humidifier régulièrement ses paniers et finalement il réussit à faire pousser des boutures en Pologne dans la pépinière de Trzciel. Le nouvel osier connu sous le nom de « Trzciel American » se répandit par la suite dans toute l’Europe, étant considéré comme l’une des meilleures variétés. A l’entrée de la petite ville, une plaque de pierre gravée commémore l’histoire du vannier Ernst Hoedt et l’arrivée des précieuses boutures qui firent prospérer la région. A proximité, un musée est dédié à l’histoire de la vannerie et à cette importante variété d’osier.

Voilà pourquoi vers 1910 le marchand d’osiers Louis Douineau de La Pierre-Percée a quitté ses bords de Loire pour se rendre en Pologne « en train et à cheval » et s’approvisionner en Americana de bonne réputation et surtout de taille plus réduite que les lusses de Loire.

Vers la même époque et dans le même élan, des Americana furent plantés à Villaines-les-Rochers, village vannier d’Indre-et-Loire, comme en témoignent les grosses cépées découvertes en bordure d’une ancienne oseraie en 2005. Le propriétaire âgé de 80 ans, ancien vannier en retraite, nous a raconté que c’était son père qui avait planté cette oseraie. Quand celui-ci lui a demandé de prendre sa suite après la guerre, il a accepté mais à condition de ne plus utiliser ces « rouges » car ils étaient « trop cassants ». Des boutures de ces vieilles cépées ont été plantées dans le conservatoire d’Anetz à côté d’une variété d’Americana provenant d’un osiériste pour comparaison : blanc bonnet et bonnet blanc…

Cet osier serait un hybride de deux saules américains poussant à l’état sauvage dans l’est de l’Amérique, Salix eriocephala et Salix petiolaris.(source : pépinières du Vermont, Etats-Unis). La variété récupérée sur les vieilles cépées s’est effectivement révélée parfois cassante dans les torsions prononcées, mais d’autres variétés poussant sous des terrains et des climats différents n’ont pas ce problème, comme à Cadenet dans le Vaucluse.

Cette histoire extraordinaire donne une idée des échanges de boutures qui ont pu se faire entre les régions de France, les pays d’Europe, et… l’Amérique !

A suivre l’article n°2 qui présente les différentes variétés d’osiers du conservatoire..

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